LE CIMETIÈRE DES AUTRICHIENS DE LA JASSERIE
Août 1815, la Jasserie... Le brave Paccalet, paysan du hameau du Crozet, avance avec difficulté...
Son mulet rechigne à risquer ses sabots sur ces chemins escarpés du Pilat, mais à chaque fois un vigoureux « Allez ! Hue ! Hue ! » le contraint à poursuivre sa route. Son cavalier, tout en prenant garde au chargement qu’il transporte, observe fixement son objectif : la Jasserie.Après quelques péripéties et de nombreux coups de cravache, Paccalet arrive enfin au sommet. Il se dirige droit en direction de l’auberge de la Jasserie, tout en admirant les beaux uniformes blancs des soldats autrichiens qui bivouaquent, là-haut. Devant l’auberge, Paccalet décharge ses sacs remplis de victuailles et frappe à la porte. Deux-trois coups et on lui ouvre. C’est l’aubergiste. Il introduit le paysan harassé dans son habitation où se tiennent déjà deux officiers de Sa Majesté l’empereur d’Autriche. Il y a là un capitaine, un géant de deux mètres, et son adjoint. Le brave Paccalet est impressionné par ces uniformes resplendissants garnis de médailles, rubans, galons et d’épaulettes. Il les écoute s’adresser à lui dans leur jargon, mélange d’autrichien et de quelques mots en français, le tout incompréhensible pour Paccalet qui appose sa signature sur le document qu’on lui tend et qui s’empare avidement des cinquante sous que lui donne le lieutenant. Sans s’attarder, il sort du bâtiment, enfourche sa monture après avoir salué les sentinelles, et repart en direction du Crozet, satisfait.
Ainsi fait-il des mois durant. Mais un jour de novembre, l’hiver s’abat, soudainement. Et la neige tombe sans cesse, des heures, des jours, des semaines durant, bloquant le pauvre Paccalet dans sa modeste ferme. Fin décembre, le temps s’éclaircit enfin et Paccalet, très inquiet, s’empresse de galoper à la Jasserie. Le propriétaire des lieux est parti au mois d’octobre en prévision de l’hiver. Personne dans l’auberge. Personne sur les hauteurs. Malgré ses cris, bouleversé, le paysan doit se rendre à l’évidence : les soldats en uniforme blanc se sont à jamais confondus avec les neiges du Pilat.
François Patard
d’après le témoignage d’Eugène Masson, La Jasserie et le Mont Pilat : souvenirs d’un montagnard, Saint-Étienne, 1957.
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